12.2019
“ L’ecole de Dakar : Chefs d’oeuvre de la Donation Barbier à la Collection Eiffage ”
Exposition hommage pour le 1er anniversaire du Musée des Civilisations Noires de Dakar.
Commissaire associé de l’exposition, conservation de la collection, scénographie, photographie et conception du catalogue.
L’Ecole de Dakar
L’Ecole. Par définition lieu de transmission du savoir, l’école est le canal principal d’une éducation qui forme l’esprit à générer sa propre culture, sa propre connaissance, sa propre capacité de pensée critique
Pour recentrer le discours, notons que la notion d’Ecole appartient à une cosmogonie issue de la culture dominante occidentale. Relevons qu’au Sénégal, l’éducation est un mariage d’expérience et de tradition : l’oralité, la généalogie, la géographie, incarnent la façon dont se transmet un savoir sacré, un savoir secret. Au jour où les rôles sont redistribués par l’apparition d’une culture digitale commune et d’une génération hyper-connectée, le trop-plein d’information génère en Afrique un effacement identitaire, une hybridation entre la connaissance universelle et l’important legs des traditions ancestrales. L’histoire de l’enseignement de l’art au Sénégal a fortement marqué celle du développement des arts plastiques, comme héritage de la vision du président Leopold Sedar Senghor, avec son projet d’un « art nouveau pour une nation nouvelle ». Premier président du Sénégal de 1960 à 1980, le « président-poète » plaçait l’art et la culture au centre de ses préoccupations et donc de celles de son pays.
Revenons à l’année 1948, dans le Sénégal colonial où l’avocat français Paul Richez créait le Conservatoire de Dakar, lieu de formation en musique et comédie. Le pays appartient alors à l’AOF (Afrique Occidentale Française), qui réunit depuis 1895 huit pays ouest-africains.
En 1958, l’AOF se dissout et le Sénégal devient indépendant dans une confédération avec son voisin le Mali : en 1959 nait la Fédération du Mali, république autonome au sein de la Communauté Française. Le Conservatoire de Dakar, qui était considéré comme lieu d’apprentissage des matières artistiques devient alors la Maison des Arts du Mali. Une longue histoire commence ! En 1959, Iba Ndiaye, premier peintre sénégalais formé en France et reconnu à l’international, est appelé par Senghor pour enseigner à la Maison des Arts du Mali.
Ce peintre rigoureux y crée une section « Arts Plastiques », dans le but d’y dispenser une formation classique en maitrise des techniques de dessin et de peinture. Le 20 août 1960, le Sénégal se retire de la Fédération du Mali et proclame alors sa pleine indépendance. La Maison des Arts du Mali devient l’Ecole des Arts du Sénégal. Senghor fait appel à Papa Ibra Tall, jeune artiste sénégalais, pour rejoindre l’école. Juste âgé de 25 ans, il y ouvre alors la fameuse section « Recherches Plastiques Nègres », fondée sur une philosophie de la liberté créative.
La rencontre de différents courants de pensée préfigure déjà un esprit d’expérimentation. Une importante part du budget de l’Etat est allouée à la promotion des arts, ouvrant le champ à un environnement fertile avec l’inauguration du Théâtre National, du Musée Dynamique, et de la Manufacture Sénégalaise des Arts décoratifs.
Au moment où le concept de Négritude, idéologie nationale qui célèbre « l’enracinement et l’ouverture », est au plus haut point de son affirmation, Senghor rencontre à Paris le français Pierre Jacques André Lods, fondateur de l’Ecole des peintres de Poto-Poto à Brazzaville.
Il est conquis par cet homme aux pensées proches des siennes, qui prône une pédagogie non-directive, un enseignement à contre-courant, non-académique, le seul permettant selon lui de libérer la « spontanéité créatrice », l’essence d’une « authenticité » africaine. Pierre Lods est appelé à Dakar en 1961 et nommé lui aussi professeur à la section de recherches plastiques, il y restera jusqu’en 1981.
C’est dans cet écrin avec les trois enseignants Iba Ndiaye, Papa Ibra Tall, et Pierre Lods, que nait ce qu’il est aujourd’hui convenu d’appeler la « première génération » d’artistes sénégalais. Avec l’acquisition de bases techniques nécessaires, la recherche est centrée sur la liberté des élèves à exalter leur intuition, leurs sentiments intérieurs, dans une forme d’« expression transcendantale ».
À l’époque dans la capitale et la sous-région, cette école est aussi un lieu incontournable de rencontres et d’échanges entre artistes et amateurs d’art. Cette période durera une vingtaine d’année, qui marqueront l’âge d’or de l’Ecole des Arts, à la quantité inépuisable d’élèves.
En 1966, se tient à Dakar le premierFestival Mondial des Arts nègres, exposition d’envergure internationale qui fera rayonner l’art sénégalais à travers le monde. C’est le point de départ de nombreuses expositions itinérantes et le catalyseur de nombreuses carrières pour ces jeunes artistes.
Cette école fut le berceau d’un genre nouveau. Paradoxalement, ce style d’art à l’empreinte « nationale », illustrant les idées de la Négritude, deviendra aussi la prison des peintres de la jeune génération, héritiers forcés de reproduire en continu cette image idéale de « l’africanité ».
En décembre 2019, en concordance avec Prête-moi ton rêve pour le premier anniversaire du Musée des Civilisations Noires de Dakar, une exposition hommage retrace la production de dix-huit artistes sénégalais ayant fréquenté l’Ecole des Arts du Sénégal entre les années 1960 et 1980, appartenant ainsi au mouvement dit de « l’Ecole de Dakar ».
À travers la Donation faite du Collectionneur Henry Barbier à la Collection Eiffage Sénégal, c’est un ensemble de cent quatre œuvres acquises par un homme passionné et produites entre les années 1960 et 1990, une peinture parfois oubliée et méconnue du grand public, d’un important panel d’artistes de la « première génération » :
Omar Katta Diallo, Ibou Diouf, Ousmane Faye, Khalifa Gueye, Abou Ndiaye, Amadou Seck ou Philippe Sène, pour ne citer qu’eux…
Cet héritage est aujourd’hui transmis pour permettre à la génération émergente de connaître et d’apprécier en lumière une partie de l’histoire de l’art contemporain au Sénégal.
Texte publié dans le catalogue de l’Expositon “Prête-moi ton rêve”, Abidjan, Février 2020.
“ L’ecole de Dakar : Chefs d’oeuvre de la Donation Barbier à la Collection Eiffage ”
Exposition hommage pour le 1er anniversaire du Musée des Civilisations Noires de Dakar.
Commissaire associé de l’exposition, conservation de la collection, scénographie, photographie et conception du catalogue.
L’Ecole de Dakar
L’Ecole. Par définition lieu de transmission du savoir, l’école est le canal principal d’une éducation qui forme l’esprit à générer sa propre culture, sa propre connaissance, sa propre capacité de pensée critique
Pour recentrer le discours, notons que la notion d’Ecole appartient à une cosmogonie issue de la culture dominante occidentale. Relevons qu’au Sénégal, l’éducation est un mariage d’expérience et de tradition : l’oralité, la généalogie, la géographie, incarnent la façon dont se transmet un savoir sacré, un savoir secret. Au jour où les rôles sont redistribués par l’apparition d’une culture digitale commune et d’une génération hyper-connectée, le trop-plein d’information génère en Afrique un effacement identitaire, une hybridation entre la connaissance universelle et l’important legs des traditions ancestrales. L’histoire de l’enseignement de l’art au Sénégal a fortement marqué celle du développement des arts plastiques, comme héritage de la vision du président Leopold Sedar Senghor, avec son projet d’un « art nouveau pour une nation nouvelle ». Premier président du Sénégal de 1960 à 1980, le « président-poète » plaçait l’art et la culture au centre de ses préoccupations et donc de celles de son pays.
Revenons à l’année 1948, dans le Sénégal colonial où l’avocat français Paul Richez créait le Conservatoire de Dakar, lieu de formation en musique et comédie. Le pays appartient alors à l’AOF (Afrique Occidentale Française), qui réunit depuis 1895 huit pays ouest-africains.
En 1958, l’AOF se dissout et le Sénégal devient indépendant dans une confédération avec son voisin le Mali : en 1959 nait la Fédération du Mali, république autonome au sein de la Communauté Française. Le Conservatoire de Dakar, qui était considéré comme lieu d’apprentissage des matières artistiques devient alors la Maison des Arts du Mali. Une longue histoire commence ! En 1959, Iba Ndiaye, premier peintre sénégalais formé en France et reconnu à l’international, est appelé par Senghor pour enseigner à la Maison des Arts du Mali.
Ce peintre rigoureux y crée une section « Arts Plastiques », dans le but d’y dispenser une formation classique en maitrise des techniques de dessin et de peinture. Le 20 août 1960, le Sénégal se retire de la Fédération du Mali et proclame alors sa pleine indépendance. La Maison des Arts du Mali devient l’Ecole des Arts du Sénégal. Senghor fait appel à Papa Ibra Tall, jeune artiste sénégalais, pour rejoindre l’école. Juste âgé de 25 ans, il y ouvre alors la fameuse section « Recherches Plastiques Nègres », fondée sur une philosophie de la liberté créative.
La rencontre de différents courants de pensée préfigure déjà un esprit d’expérimentation. Une importante part du budget de l’Etat est allouée à la promotion des arts, ouvrant le champ à un environnement fertile avec l’inauguration du Théâtre National, du Musée Dynamique, et de la Manufacture Sénégalaise des Arts décoratifs.
Au moment où le concept de Négritude, idéologie nationale qui célèbre « l’enracinement et l’ouverture », est au plus haut point de son affirmation, Senghor rencontre à Paris le français Pierre Jacques André Lods, fondateur de l’Ecole des peintres de Poto-Poto à Brazzaville.
Il est conquis par cet homme aux pensées proches des siennes, qui prône une pédagogie non-directive, un enseignement à contre-courant, non-académique, le seul permettant selon lui de libérer la « spontanéité créatrice », l’essence d’une « authenticité » africaine. Pierre Lods est appelé à Dakar en 1961 et nommé lui aussi professeur à la section de recherches plastiques, il y restera jusqu’en 1981.
C’est dans cet écrin avec les trois enseignants Iba Ndiaye, Papa Ibra Tall, et Pierre Lods, que nait ce qu’il est aujourd’hui convenu d’appeler la « première génération » d’artistes sénégalais. Avec l’acquisition de bases techniques nécessaires, la recherche est centrée sur la liberté des élèves à exalter leur intuition, leurs sentiments intérieurs, dans une forme d’« expression transcendantale ».
À l’époque dans la capitale et la sous-région, cette école est aussi un lieu incontournable de rencontres et d’échanges entre artistes et amateurs d’art. Cette période durera une vingtaine d’année, qui marqueront l’âge d’or de l’Ecole des Arts, à la quantité inépuisable d’élèves.
En 1966, se tient à Dakar le premierFestival Mondial des Arts nègres, exposition d’envergure internationale qui fera rayonner l’art sénégalais à travers le monde. C’est le point de départ de nombreuses expositions itinérantes et le catalyseur de nombreuses carrières pour ces jeunes artistes.
Cette école fut le berceau d’un genre nouveau. Paradoxalement, ce style d’art à l’empreinte « nationale », illustrant les idées de la Négritude, deviendra aussi la prison des peintres de la jeune génération, héritiers forcés de reproduire en continu cette image idéale de « l’africanité ».
En décembre 2019, en concordance avec Prête-moi ton rêve pour le premier anniversaire du Musée des Civilisations Noires de Dakar, une exposition hommage retrace la production de dix-huit artistes sénégalais ayant fréquenté l’Ecole des Arts du Sénégal entre les années 1960 et 1980, appartenant ainsi au mouvement dit de « l’Ecole de Dakar ».
À travers la Donation faite du Collectionneur Henry Barbier à la Collection Eiffage Sénégal, c’est un ensemble de cent quatre œuvres acquises par un homme passionné et produites entre les années 1960 et 1990, une peinture parfois oubliée et méconnue du grand public, d’un important panel d’artistes de la « première génération » :
Omar Katta Diallo, Ibou Diouf, Ousmane Faye, Khalifa Gueye, Abou Ndiaye, Amadou Seck ou Philippe Sène, pour ne citer qu’eux…
Cet héritage est aujourd’hui transmis pour permettre à la génération émergente de connaître et d’apprécier en lumière une partie de l’histoire de l’art contemporain au Sénégal.
Texte publié dans le catalogue de l’Expositon “Prête-moi ton rêve”, Abidjan, Février 2020.